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Les néonicotinoïdes et le déclin des pollinisateurs

Comment se diffusent les néonics?

Les néonicotinoïdes représentent une classe d’insecticides dont la structure chimique s’apparente à celle de la nicotine. Si vous avez acheté des plantes jardinières dans un magasin à grande surface ou quelques épis de maïs à l’épicerie, vous avez peut-être été en contact avec de tels produits.
Au Canada, l’usage de cinq de ces insecticides est approuvé pour beaucoup de nos cultures, dont le maïs, le soya, les pois, les haricots, les fruits et les légumes. Ils sont utilisés sur les plantes sous forme d’enrobage de semence, de solutions pour le sol ou de vaporisateurs pour les feuilles et les tiges. Ils demeurent actifs plusieurs mois dans la plante, et de nombreuses années dans le sol.

Vous ne pouvez pas vous en laver les mains

Les néonicotinoïdes sont des pesticides systémiques. Ils ne disparaissent pas avec un simple rinçage de nos fruits ou de nos fleurs. Absorbés par les racines ou les feuilles, puis mis en circulation par le système vasculaire, ils s’incorporent à la plante même. Toutes les parties de la plante sont touchées, que ce soit la tige, les fleurs, les fruits, le nectar ou le pollen. Lorsqu’un insecte ingère liquides ou tissus organiques d’une plante traitée, les néonicotinoïdes provoquent des lésions à son système nerveux central, causant tremblements, paralysie, voire la mort.

Avec des ventes mondiales représentant des milliards de dollars, les néonicotinoïdes représentent à l’heure actuelle les insecticides les plus largement utilisés dans le monde. Nous voyons une accumulation croissante d’indications de conséquences néfastes inattendues sur les espèces non ciblées et sur l’environnement.

Dans notre environnement

Les néonicotinoïdes sont très hydrosolubles; ce qui explique notamment pourquoi ils peuvent se propager à toutes les parties de la plante. Cela explique aussi qu’ils persistent longtemps dans la plante et dans le sol environnant. Ces caractéristiques les rendent certes des insecticides désirables, mais aussi de puissants contaminants environnementaux. Par voie hydrosoluble, les néonicotinoïdes circulent facilement dans le sol et dans les cours d’eau. À ce stade, il leur faut des mois (possiblement des années) pour se décomposer.

L’effet domino

Les néonicotinoïdes sont désormais détectables dans certains cours d’eau à des taux toxiques aux insectes aquatiques tels que les moucherons et les éphémères. C’est le début d’un effet domino dans la chaîne alimentaire. Aux Pays-Bas, le déclin des populations d’insectes causé par les néonicotinoïdes a été corrélé avec un déclin des populations d’oiseaux insectivores. Les oiseaux sont également affectés directement lorsqu’ils consomment des graines contaminées. Selon une étude canadienne, le bruant à couronne blanche migratoire, s’il est exposé à des doses de néonicotinoïdes équivalentes à 4-8 graines de canola contaminées par jour, sur 3 jours, perdra alors le quart de son poids.

Selon les concentrations et le mode d’épandage du néonicotinoïde, il est fort probable que d’autres espèces en souffrent. Bien que les amphibiens et les poissons soient moins sensibles aux néonicotinoïdes que les insectes, des études montrent que les néonicotinoïdes leur sont toxiques à fortes doses ou en cas d’exposition prolongée. Les néonicotinoïdes corrompent les habitudes alimentaires des vers de terre au point de les faire mourir, affamés.

Un problème pour les pollinisateurs

Sans les pollinisateurs, que ferions-nous? Selon certaines estimations, la croissance de 30 % de nos aliments dépendrait des abeilles, des coléoptères, des mouches, des papillons et des oiseaux – sans compter le miel! Les abeilles mellifères utilisent le nectar et le pollen floraux pour produire du miel. Mais bien des pollinisateurs collectent plus que souhaité lorsqu’ils visitent nos champs. Au Canada, le nectar et le pollen de beaucoup de cultures contiennent des néonicotinoïdes.

Des centaines d’études démontrent que les néonicotinoïdes peuvent nuire considérablement aux pollinisateurs comme les abeilles. Ils perturbent leur capacité à s’orienter, à apprendre, à ramasser de la nourriture et à se reproduire. Les colonies de bourdons exposées aux néonicotinoïdes se développent plus lentement et produisent moins de reines.

Au-delà de l’agriculture

Il y a matière à inquiétude au-delà de l’agroalimentaire. Saviez-vous qu’entre 75 et 95 % des plantes à fleurs de la planète comptent sur les pollinisateurs pour se reproduire? Beaucoup de ces pollinisateurs sauvages sont mis à risque lorsqu’ils traversent les clôtures de ferme pour se nourrir de fleurs cultivées traitées aux néonicotinoïdes. Les papillons sont eux aussi en déclin rapide dans certaines régions où leur habitat se trouve à proximité de zones agricoles. Les néonicotinoïdes représentent un problème de plus pour nos pollinisateurs sauvages en voie de disparition, qui doivent déjà composer avec la perte d’habitat, les maladies, le changement climatique et la concurrence ou la prédation provenant d’espèces introduites.

Le risque en vaut-il la chandelle?

Nous en sommes venus à dépendre des insecticides comme les néonicotinoïdes pour lutter contre les ravageurs dans nos cultures agroalimentaires, nos jardins, nos fermes forestières et même les puces de nos chiens. Nous y recourons avant même d’en avoir besoin, en prévention d’une infestation qui peut ou non se produire. Selon le biologiste David Goulson, biologiste et membre du groupe de travail sur les pesticides systémiques, « c’est comme prendre des antibiotiques sans être malade, pour éviter de le devenir. » Le jeu en vaut-il la chandelle?

Un effort gaspillé

L’usage « prophylactique » des néonicotinoïdes multiplie le nombre d’espèces non ciblées qui se trouvent exposées à des doses de pesticides nocives, voire létales, comme les abeilles et les coléoptères (lesquels, paradoxalement, se nourrissent d’espèces ravageuses). C’est ainsi qu’une grande quantité d’insecticides aboutit dans notre environnement, futilement. Selon certaines estimations, 90 % des insecticides ne sont pas absorbés par les plantes ciblées et se retrouvent plutôt dans nos sols et nos cours d’eau, et ainsi dans les chaînes alimentaires naturelles.

L’abus généralisé des néonicotinoïdes accélère le taux auquel les insectes nuisibles de partout sur la planète deviennent résistants. Par exemple, seulement 10 ans après l’introduction du néonicotinoïde imidaclopride, 95 % des populations de doryphores de la pomme de terre du Nord-Est et du Midwest des États-Unis étaient résistantes. Malgré les taux de résistance croissante, beaucoup d’agriculteurs considèrent que les néonicotinoïdes sont bénéfiques.

Néonicotinoïdes ≠ Meilleur rendement

Peu d’études ont tenté de démontrer le bénéfice réel des néonicotinoïdes, et celles qui l’ont fait ont montré des résultats inconstants et imprévisibles. En effet, ils améliorent rarement le rendement des cultures, et quand c’est le cas, l’avantage est parfois contrebalancé par la perte de pollinisateurs qui affecte les récoltes suivantes.

Même si les néonicotinoïdes sont efficaces sur le plan de la réduction des dommages aux cultures, cela ne se traduit pas toujours en une meilleure récolte. Une étude a montré que bien que l’usage d’un néonicotinoïde avait réduit les dommages racinaires de plants de maïs, le rendement de la culture n’avait pas augmenté.

L’efficacité douteuse des néonicotinoïdes et la résistance croissante des insectes nuisibles à ses agents chimiques doivent être pesées au regard des méfaits causés à d’autres organismes et à la perte des services, comme la pollinisation, que rend la nature à l’agriculture.

Autres facteurs du déclin des pollinisateurs

Les insectes disparaissent partout dans le monde. Des estimations récentes suggèrent que le taux de déclin actuel pourrait entraîner l’extinction de 40 pour cent des insectes du monde au cours des prochaines décennies. En Allemagne, une analyse de 27 années de données datant de 2017 a par exemple découvert un déclin de 76 pour cent des insectes volants dans les aires protégées. Les auteurs d’une étude de 2018 menée à Porto Rico ont rapporté un déclin de l’ordre de 98 pour cent des insectes qui se nourrissent au sol et de 78 pour cent des arthropodes qui vivent dans la canopée (insectes, arachnides et autres espèces ayant un exosquelette) sur une période de 40 ans. On croit que 40 pour cent des pollinisateurs invertébrés — particulièrement les papillons et les abeilles — font face à l’extinction. Les évaluations de la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature indiquent que 16,5 pour cent des pollinisateurs vertébrés sont menacés d’extinction dans le monde, un nombre qui grimpe à 30 pour cent pour les espèces insulaires.

La perte et la conversion d’habitats au profit de l’agriculture intensive et de l’urbanisation

Les changements dans leur habitat sont le principal catalyseur du déclin des insectes à travers le monde. Les humains ont altéré l’habitat des insectes avec la foresterie, le développement des villes et villages, et en convertissant les habitats naturels en terres agricoles et en parcours pour produire de la nourriture. L’agriculture a joué un des plus grands rôles dans le déclin des insectes. Bien qu’en Amérique du Nord, le plus important mouvement de conversion de terres vers l’agriculture ait eu lieu dans la première partie du XXe siècle, le déclin majeur des insectes a commencé lorsque les pratiques agricoles sont passées de l’agriculture traditionnelle avec un usage minimal de produits chimiques à une agriculture industrielle intensive impliquant la plantation de monocultures, l’usage récurrent d’engrais et de pesticides, l’élimination des éléments naturels (comme les haies et les arbres) pour faire place à une machinerie plus sophistiquée, et la modification des eaux de surface pour améliorer l’irrigation et le drainage. Le résultat a été la perte de plantes à fleurs, de sites de nidification et d’habitats d’hibernation pour les pollinisateurs, incluant les bourdons et autres abeilles sauvages, les carabes et les espèces de papillons de nuit qui passent l’hiver sous forme de larves.

Il est maintenant bien établi que les changements dans les ressources alimentaires et la nidification dus à la perte d’habitat entraînent une diminution de la densité et de la diversité des insectes butineurs. La situation peut cependant être améliorée par un retour à des systèmes agricoles durables. Là où les centres urbains ont pris de l’expansion au détriment des habitats naturels et ont absorbé les terres agricoles, la création de chemins pour les pollinisateurs incluant des parcs et des jardins urbains contribuerait au retour des pollinisateurs.

Facteurs biologiques (agents pathogènes, parasites et espèces envahissantes)

Les parasites et agents pathogènes ont été associés à l’effondrement des colonies d’abeilles mellifères dans de nombreux pays et au déclin des abeilles sauvages en Amérique du Nord. Par exemple, l’acarien Varroa destructor et le petit coléoptère des ruches propagent des infections virales aux abeilles mellifères régies. Ces virus ne sont pas nouveaux pour les apiculteurs, mais ils affectent les abeilles plus sévèrement depuis qu’elles sont déjà affaiblies par l’exposition au pollen et au nectar contaminés par les pesticides. Les agents pathogènes se sont aussi répandus aux populations sauvages de bourdons par un « déversement » provenant de bourdons élevés commercialement s’étant échappés des serres où ils ont été amenés pour la pollinisation. Une meilleure gestion des abeilles domestiques pourrait grandement réduire cet effet.

Les espèces exotiques envahissantes sont des espèces introduites intentionnellement ou accidentellement par les humains en dehors de leur aire naturelle. Elles se répandent rapidement et leur croissance a une incidence sur les autres espèces et les écosystèmes. Les résultats peuvent être complexes. Par exemple, un pollinisateur généraliste peut bénéficier d’une plante envahissante qui fleurit fréquemment pendant les mois d’été. Mais si cette plante envahissante supplante une plante indigène sur laquelle un pollinisateur spécialiste compte, les conséquences pourraient être désastreuses. Une récente évaluation des risques posés par les espèces envahissantes sur les pollinisateurs a montré que la plupart des interactions entre pollinisateurs indigènes et espèces envahissantes sont négatives. Bien que les plantes envahissantes puissent être une source de nourriture pour les pollinisateurs, elles peuvent aussi transformer l’alimentation des pollinisateurs, affecter leur nutrition et poser un risque pour leur santé. Les abeilles pollinisatrices sont par exemple très sensibles à la combinaison particulière de nutriments trouvée dans le pollen de leurs plantes indigènes préférées. En s’alimentant avec des plantes envahissantes, les pollinisateurs peuvent aussi ignorer les besoins en pollinisation des plantes indigènes. Les espèces pollinisatrices envahissantes peuvent propager des agents pathogènes et des parasites aux pollinisateurs indigènes (voir la section ci-dessus). Sans oublier que certaines espèces envahissantes sont des prédateurs pour les pollinisateurs indigènes. Par exemple, l’introduction accidentelle en 2004 du frelon asiatique, un insecte prédateur, de l’Asie à l’Europe a directement menacé les populations d’abeilles mellifères européennes.

« Les pollinisateurs sont essentiels à notre approvisionnement alimentaire, à nos écosystèmes et au plaisir que nous offre la nature. Des centaines d’études scientifiques ont démontré l’étendue des dommages causés par les néonicotinoïdes et la perte d’habitat en ce qui a trait aux pollinisateurs et à d’autres espèces sauvages, comme les oiseaux et les chauves-souris. Nous devons nous efforcer de remédier à ces effets pour éviter de compromettre les écosystèmes sur lesquels repose l’agriculture au Canada. »
David Browne, directeur en matière de science de la conservation de la FCF

Changement climatique

Les effets du changement climatique sont complexes et se manifestent de différentes manières selon l’emplacement. Bien qu’il puisse avoir une incidence positive sur certaines populations d’insectes dans les régions tempérées, le changement climatique est considéré par certains comme étant un important catalyseur du déclin des abeilles sauvages et des papillons. Les pollinisateurs de la région méditerranéenne, comme le coléoptère Mylabris nevadensis, ont connu ses effets négatifs. De plus, le changement climatique est de toute évidence le facteur principal de la réduction des arthropodes, dont beaucoup sont des pollinisateurs, dans une forêt tropicale de Porto Rico. Les températures moyennes de la forêt ont augmenté de deux degrés Celsius depuis les années 1970.
Nous devons travailler avec diligence dans les prochaines années pour créer un habitat qui veillera à ce que les pollinisateurs puissent surmonter les menaces actuelles. Cela nécessitera non seulement la voix de nos supporteurs, mais aussi un investissement considérable dans le travail qui nous attend!